mercredi 26 novembre 2008

Recette de femme

"Que les très laides me pardonnent mais la beauté est fondamentale. Il faut dans tout cela qu'il y ait quelque chose d'une fleur, quelque chose d'une danse, quelque chose de haute couture dans tout cela (ou alors que la femme se socialise élégamment en bleu comme dans la République Populaire Chinoise).
Il n'y a pas de moyen terme. Il faut que tout soit beau. Il faut que, tout à coup on ait l'impression de voir une aigrette à peine posée, et qu'un visage acquière de temps en temps cette couleur que l'on ne rencontre qu'à la troisième minute de l'aurore.
Il faut que tout cela soit sans être, mais que cela se reflète et s'épanouisse dans le regard des hommes. Il faut, il faut absolument que tout soit beau et inespéré. Il faut que des paupières closes rappellent un vers d'Eluard, et que l'on caresse sur des bras quelque chose au delà de la chair : et qu'au toucher ils soient comme l'ambre d'un crépuscule. Ah, laissez-moi vous dire qu'il faut que la femme qui est là, comme la corolle devant l'oiseau soit belle, ou qu'elle ait au moins un visage qui rappelle un temple ; et qu'elle soit légère comme un reste de nuage : mais que ce soit un nuage avec des yeux et des fesses. Les fesses c'est très important. Les yeux, inutile d'en parler, qu'ils regardent avec une certaine malice innocente. Une bouche fraîche (jamais humide), mobile, éveillée, et aussi d'une extrême pertinence. Il faut que les extrémités soient maigres, que certains os pointent, surtout la rotule, en croisant les jambes et les pointes pelviennes lors de l'enlacement d'une taille mobile. Très grave toutefois est le problème des salières : une femme sans salières est comme une rivière sans ponts. Il est indispensable qu'il y ait une hypothèse de petit ventre, et qu'ensuite la femme s'élève en calice et que ses seins soient une expression gréco-romaine, plus que gothique ou baroque et qu'ils puissent illuminer l'obscurité avec une force d'au-moins 5 bougies. Il faut absolument que le crâne et la colonne vertébrale soient légèrement visibles et qu'il existe une grande étendue dorsale...Que les membres se terminent comme des hampes, mais qu'il y ait un certain volume de cuisses. Qu'elles soient lisses, lisses comme des pétales et couvertes du duvet le plus doux, cependant sensible à la caresse en sens contraire.
Les longs cous sans nul doute sont préférables de manière à ce que la tête donne parfois l'impression de n'avoir rien à voir avec le corps et que la femme ne rappelle pas les fleurs sans mystère. Les pieds et les mains doivent contenir des éléments gothiques discrets. La peau doit être fraîche aux mains, aux bras, dans le dos et au visage mais les concavités et les creux ne doivent jamais avoir une température inférieure à 37° centigrades, capables, éventuellement, de provoquer des brûlures du ler degré.
Les yeux, qu'ils soient de préférence grands et d'une rotation au moins aussi lente que celle de la terre; qu'ils se placent toujours au delà d'un mur invisible de passion qu'il est nécessaire de dépasser. Que la femme, en principe, soit grande ou, si elle est petite, qu'elle ait l'altitude mentale des hautes cimes.
Ah, que la femme donne toujours l'impression que si ses yeux se ferment
En les ouvrant, elle ne serait plus présente avec son sourire et ses intrigues. Qu'elle surgisse, qu'elle ne vienne pas, qu'elle parte, quelle n'aille pas.Et qu'elle possède un certain pouvoir de rester muette subitement, et de nous faire boire le fiel du doute. Oh, surtout qu'elle ne perde jamais, peu importe dans quel monde , peu importe dans quelles circonstances, son infinie volubilité d'oiseau, et que caressée au fond d'elle-même, elle se transforme en fauve sans perdre sa grâce d'oiseau; et qu'elle répande toujours l'impossible parfum ; et qu'elle distille toujours le miel enivrant ; et qu'elle chante toujours le chant inaudible de sa combustion et qu'elle ne cesse jamais d'être l'éternelle danseuse de l'éphémère ; et dans son incalculable imperfection qu'elle constitue la chose la plus belle et la plus parfaite de toute l'innombrable création."

Recette de femmes, Vinicius de Moraes
image d'un tableau de Bacon

mardi 25 novembre 2008

Quand vous arrivez là-bas, il n'y a pas de là-bas, là-bas (G. Stein)


Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,
Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !

Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

Le Voyage, Baudelaire

lundi 10 novembre 2008

Adeus



"Hélas les vers signifient si peu de choses quand on les écrit trop tôt. Il faudrait attendre, accumuler toute une vie le sens et le nectar - une longue vie si possible -, et seulement alors, tout à la fin, pourrait-on écrire dix lignes qui soient bonnes. Car les vers ne sont pas faits, comme les gens le croient, avec des sentiments (ceux-là on ne les a que trop tôt) - ils sont faits d'expérience vécues. Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, beaucoup d'hommes et de choses, il faut connaître les bêtes, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir le mouvement qui fait s'ouvrir les petites fleurs au matin. Il faut pouvoir se remémorer des routes dans des contrées inconnues, des rencontres inattendues et des adieux de longtemps prévus - des journées d'enfance restées inexpliquées, des parents qu'il a fallut blesser, un jour qu'ils vous ménageaient un plaisir qu'on n'avait pas compris (c'était un plaisir déstiné à un autre...), des maladies d'enfance qui commencaient étrangement par de profondes et graves métamorphoses, des journées passées dans des chambres paisibles et silencieuses, des matinées au bord de la mer ; il faut avoir en mémoire la mer en général et chaque mer en particulier, des nuits de voyage qui vous emportaient dans les cieux et se dissipaient parmi les étoiles - et ce n'est pas encore assez que de pouvoir penser à tout cela. Il faut avoir le souvenir des nombreuses nuits d'amour, dont aucune ne ressemble à une autre, il faut se rappeler le cri des femmes en gésine et l'image des blanches et légères accouchées endormies, qui se referment. Il faut avoir été aussi au côté des mourants, il faut être resté au chevet d'un mort, dans une chambre à la fenêtre ouverte, aux rares bruits saccadés. Et il n'est pas encore suffisant d'avoir des souvenirs. Il faut pouvoir les oublier, quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d'attendre qu'ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore ce qu'il faut. Ils faut d'abord qu'ils se confondent avec notre sang, avec notre regard, avec notre geste, il faut qu'ils perdent leurs noms et qu'ils ne puissent plus être discernés de nous-mêmes ; il peut alors se produire qu'au cours d'une heure très rare, le premier mot d'un vers surgisse au milieu d'eux et émanent d'entre eux."

R.M. Rilke, Les cahiers de Malte Laurids Brigge

samedi 1 novembre 2008

Les mines générales


Je suis pour une semaine dans le Minas Gerais.
La terre est rouge, le paysage sec et ouvert.
Une nouveauté pour moi.
Seule jusqu'à vendredi dans la maison de campagne de Moreno...
Grand désir de travailler, grande joie!